La contrebassiste française Sélène Saint-Aimé trace sa route avec cran avec son jazz qui puise aux racines africaines et caribéennes. Mare Undarum, son premier album, en fait l’une des révélations de l’année. Interview, avant son concert à Nancy Jazz Pulsations le 15 octobre.
Elle a le prénom grec et la musique panafricaine. Sélène Saint-Aimé, déesse de la lune, force de la contrebasse, sort un premier album à 25 ans. Mare Undarum, mer des ondes en latin, déploie un répertoire personnel épris de poésie. Neuf titres, dont trois sont empruntés au guitariste brésilien Heitor Villas-Lobos, au compositeur russe Moussorgki et au saxophoniste américain Steve Coleman, son mentor. Il y a huit ans, Sélène Saint-Aimé bégayait à peine ses premières phrases à l’instrument. La voilà qui prend déjà la parole avec assurance ! Sélène Saint-Aimé façonne Mare undarum à bras-les-cordes, avec des lignes de basse solides pour charpente. Grave, chacune de ses notes insuffle à sa musique un souffle dramatique, imprégné des traditions musicales noires qu’elle explore depuis ses débuts. Qui est Sélène Saint-Aimé ? À quel parcours doit-elle ce premier album réussi, qui la voit réunir les musiciens plus âgés et plus expérimentés qu’elle que sont Sonny Troupé (ka, batterie), Hermon Mehari (trompette), Irving Acao (saxophone), Guillaume Latil (violoncelle) ou Mathias Lévy (violon).
Vous avez commencé la musique tard, à 18 ans. Mais vous étiez bénévole au festival Django Reinhardt et passionnée de musique. Cela a-t-il façonné votre oreille ? Et peut-être faciliter votre apprentissage ?
Il y a eu une longue période pendant laquelle j’ai découvert la musique. J’écoutais énormément de musique. J’écoutais tout le temps la radio. J’essayais de retrouver qui était le saxophoniste, le trompettiste, de reconnaître les enregistrements. Plus tard, Steve Coleman m’a appris à apprendre par l’assimilation, en regardant, en observant, en traînant. C’est lui qui m’a montré ça.
Pour votre premier album, à 25 ans, vous choisissez déjà la voie des compositions personnelles. Vous tracez votre chemin. Était-ce une évidence pour vous, dès vos débuts, à 17-18 ans ?
Oui, j’ai toujours composé. Même à un niveau débutant. J’avais toujours des idées que j’enregistrais sur un dictaphone. Les compositions, sur mon album, sont donc une suite logique.
Et vous voilà, à 25 ans, à sortir un album, Mare Undarum, qui se révèle être en partie une quête panafricaine, au sens où il puise aux sources africaines, caribéennes et américaines. Quand ce choix s’est-il fait ?
Il s’impose à moi, parce qu’il fait partie de moi, de mes origines. Mon père est né en Martinique, et ma mère est Française et Ivoirienne. Je n’y ai pas réfléchi. Cet héritage m’est naturel, parce que je suis issue de la diaspora. J’essaye de coller le plus à ce que je suis.
Vous avez voyagé à Cuba et au Maroc, pour vous imprégner de traditions musicales. Vous allez prendre les musiques à leur source. C’est une démarche de chercheur.
À chaque fois j’ai eu la chance de pouvoir rester assez longtemps sur place, d’être en contact avec de très bons musiciens traditionnels, qui connaissent les rythmes. C’est une chance d’accéder à ça.
À Cuba, où je suis restée un mois, avec Steve Coleman et Anthony Seed, j’ai pu assister à des cérémonies traditionnelles Santas. C’est de l’information à prendre, dont on se nourrit. Comme Steve Coleman a passé beaucoup de temps à Cuba, il connaissait déjà du monde. Je l’ai accompagné dans le cadre de l’un de ses congés sabbatiques annuels. Chaque année, il part en voyage pour étudier.
Au Maroc, c’est la musique Gnaoua que vous êtes allée étudier.
Je suis partie seule, chez des amis, à Casablanca, qui m’ont hébergée pendant un moment. Là-bas, j’ai rencontré Khalid, qui documente de nombreuses cérémonies à travers « Gnaoua culture », une chaîne YouTube très fournie. J’ai aussi rencontré Majid Bekkas [joueur d’oud emblématique et souvent aperçu aux côtés de musiciens de free jazz américains ou européens], que j’ai contacté une fois sur place… ! Mais je ne suis pas très organisée de nature. Je préfère me laisser surprendre.
Votre album semble être le résultat de vos multiples initiatives. Vous n’hésitez pas à provoquer la chance. Une rencontre avec Steve Coleman, lors d’une de ses master class, au café La Pêche, à Montreuil, vous amène à New York…
Là-bas, j’ai passé beaucoup de temps au Stone, le club de John Zorn, où Steve Coleman avait une résidence. La programmation y est toujours intéressante. On y trouve des musiciens de la scène créative de New York, que l’on entend difficilement en France : les contrebassistes Linda May ou Mark Dresser, le guitariste Miles Okazaki… Que de choses incroyables et souvent très originales.
Tout cela a dû avoir de l’influence sur votre musique. Qu’est-ce qui vous a tant impressionné chez Steve Coleman ?
Son approche de la vérité, en ce qui concerne la vie, la musique. Il analyse le moindre détail. Si tu aimes ce rythme, décortique-le, essaie de comprendre pourquoi il te plaît. Ça peut être fatigant, mais ça aide à progresser. Il a forgé ma façon de penser : toujours apporter le meilleur, ne pas être légère sur le rythme et l’harmonie. Et il m’a aidé à former mon oreille.
Avez-vous suivi certains de ses préceptes dans la conception de Mare Undarum ?
Complètement. Il fait de la composition spontanée. J’ai suivi cette démarche. Improviser, enregistrer ses improvisations, transcrire l’enregistrement, sélectionner les meilleures improvisations et ensuite orchestrer la musique pour le groupe. Une improvisation devient ainsi une longue pièce. C’est ce que j’ai fait pour Mare Undarum, dans la partie II. J’ai aussi voulu gérer mes contrepoints de manière improvisée, avoir une ligne avec la basse, et une ligne avec la voix en même temps. Le cœur même du morceau est ce contrepoint improvisé de la voix et de la contrebasse. Coleman va encore plus loin, il improvise l’orchestration en partant de ses improvisations initiales ! Il ne s’assoit pas. Tout ce qui est écrit a d’abord été improvisé.
Sélène Saint-Aimé se produit le 15 octobre au Nancy Jazz Pulsations, qui invite également cette année Daara J Family (le 15/10), le pianiste Jonathan Jurion (16/10) ou encore Charlotte Adigéry (17/10) dont PAM vous a déjà parlé. Retrouvez toute la programmation ici.